Leçon de ténèbres d’Yves-Noël Genod

(crédit photo : Yves-Noel Genod)

Leçon de ténèbres

19 décembre : l’expérience qui a débuté en septembre 2015 au théâtre du Point du Jour (Lyon) et permis à Yves-Noël Genod de créer pas moins de sept pièces ( ainsi qu’une reprise déjà présentée l’an dernier au théâtre du Rond-Point : Rester vivant) est sur le point de s’achever… Plus on progresse, plus les pièces s’assombrissent et se densifient au sens propre : Rester Vivant est une expérience d’une heure trente dans une obscurité presque totale. Avec pour seul guide durant cette traversée lyrique, Baudelaire – ses poèmes, les Fleurs du mal…

Soleil noir

Revenons pour l’heure à cette Leçon de ténèbres. Après avoir été accueillis avec une coupe de champagne par Yves-Noël Genod lui-même, comme c’est le rituel avant chaque représentation, nous pénétrons dans la salle. Le metteur en scène s’avance et nous annonce qu’il est désormais temps pour lui de faire un bilan de ces quatre mois de résidence et de recherche. Imperceptiblement la lumière s’abaisse tandis qu’augmente le volume de sa voix. Puis sa propre parole s’efface au profit d’un texte de Paul Eluard, sans que le spectateur n’ait pu saisir quand ni comment s’est faite la transition. « Distributeur de poésie et de lumière », c’est ainsi que l’artiste se présente. Magicien aussi, sans aucun doute. De fait, il nous lit désormais « La Nostalgie de la lumière totale » (Paul Eluard). On n’a pas vu venir…

Lorsque la lumière se fait, crépusculaire, le metteur en scène a cédé la place à un danseur qui répétera, infiniment, des mouvements sur un espace scénique réduit. La musique est absente ; seul en scène, le danseur s’exécute, prodigieux : un corps partiellement vêtu de noir dont les enchainements accélérés et orbiculaires impriment sur la rétine des images superposées, traces d’ébène et lambeaux de chair qui ne sont pas sans évoquer les tableaux de Bacon. Troublant. Immersion à nouveau dans le noir. Quelques voix s’élèvent. Vous vous apercevez alors que votre voisin, le spectateur à votre gauche, celui assis devant vous, celui de derrière, chantent. Vous voilà plongé au milieu de polyphonies. Et le noir efface tout, sauf ces voix.

Du sensible et du unheimlich

Apparaîtrons aussi deux agneaux sur scène ; on lira parmi les spectateurs un texte sur le théâtre, et aussi des extraits de Don Juan. Impossible de me souvenir dans quel ordre. Et cela n’a, je pense, pas grande importance. Cette mystérieuse Leçon de ténèbres témoigne sans aucun doute de l’amour porté par l’artiste à la « boîte noire » ; héritière d’un romantisme noir, elle évoque également les lavis sombres de Victor Hugo. Pour Yves-Noël Genod, le mystère est d’or. Inutile de trop le questionner ; si vous l’interrogez, par exemple, sur la présence des agneaux, il vous répondra, innocemment, par ce vers d’Angelus Silesius: « La rose est sans pourquoi, elle fleurit parce qu’elle fleurit. ». Ses pièces sont des esquisses propres à laisser suffisamment d’interstice au spectateur pour lui permettre d’insérer son propre conte. Parce qu’elles sont sans début ni fin, sans dehors ni dedans, les histoires d’Yves Noël Genod sont illimitées, in-formes. Parce qu’elles sont informes et fragiles, elles excèdent notre imagination et touchent sans aucun doute au sublime.

Sophie Rieu

Leçon de ténèbres de Yves-Noël Genod
Avec : Simon Espalieu, Catherine Fornal, Jonathan Foussadier, Harris Gkekas, Yuika Hokama, Gaël Sall, Marc Sollogoub, Gabriel Tur
Et le chœur public du théâtre du Point du jour dirigé par Barbara Jung et Myriam Djemour
Lumière : Philippe Gladieux, Gildas Gouget
Site du théâtre du Point du Jour : http://www.lepointdujour.fr/
Blog de Yves-Noël Genod : http://ledispariteur.blogspot.fr/

Du 15 au 19 décembre 2015, 20h
Durée : 1 h 45

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